NUMÉRO 6   Novembre 2003  
 
   
 
 

 

Transcender le dialogue de sourd

 

Par Peter Calamai
tiré du numéro du 27 août 2003 de http://www.researchmoneyinc.com/

 

 

 

         

 

 

 

Peter Calamai est le plus récent membre du Conseil d'administration du Réseau canadien de recherche sur le langage et l'alphabétisation.


Les lecteurs de RE$EARCH MONEYn'ont pas besoin de sermons au sujet de la place centrale qu'occupe la science et la technologie dans nos vies quotidiennes. Mais cette année les Canadiens moyens ont reçu des rappels de cette réalité, parfois de façon très prenante. Le cas solitaire, mais très coûteux, de la maladie de la « vache folle », l'épidémie de SRAS, le retour du virus du Nil de l'Ouest, les problèmes causés aux réacteurs CANDU par la panne majeure de courant et les feux de forêts qui ont brûlé en Colombie-Britannique. Tous des évènements où la science et la technologie ont joué un rôle de premier plan.

D'autres rappels, aussi crus, sont venus de plus loin décès prématurés lors de la vague de chaleur en Europe (changement climatique?), liens possibles entre le SRAS et les animaux de ferme en Chine, la poursuite de la controverse en Angleterre concernant les cultures génétiquement modifiées, le spectre d'une guerre bactériologique ou chimique en Iraq.

La réaction du public à plusieurs de ces évènements était souvent décourageante pour quiconque possède ne serait-ce qu'une bribe de compréhension au sujet de la science et de la technologie. Margaret Wente, ancienne éditrice en chef au « The Globe and Mail », révélait dans un article sur les séquelles de la panne de courant qu'elle n'avait pas réalisé que les téléphones sans fil fonctionnaient à l'électricité. (Comment pensait-elle que la station de base obtenait son énergie? D'une batterie rechargeable qui n'a jamais besoin d'être remplacée?)

Nos représentants gouvernementaux ne se sont pas particulièrement distingués non plus. À en juger par son point de presse quotidien, le Premier ministre de l'Ontario Ernie Eves ne connaît pas les principes de base de l'électromagnétisme et, donc, ne sais pas comment une turbine produit de l'électricité. Ce manque fut cependant éclipsé par l'ignorance générale au sujet des prions, l'agent responsable présumé de la EBS, démontrée par tous les ministres des gouvernements fédéral et provinciaux qui ont participé à l'échauffourée de la vache folle.

Malheureusement, de tels tristes jugements concernant le bas niveau de compréhension scientifique et la mauvaise utilisation de la connaissance scientifique seraient justifiés pour la plupart des dernières années. Attaquer cet état de choses est devenu un passe-temps régulier lors des réunions scientifiques.

Mais pas au château de Herstmonceux, dans le East Sussex en Angleterre, où, depuis 1996, se réunit annuellement une distribution changeante de scientifiques, chefs de file d'universités, hauts fonctionnaires, politiciens élus et même quelques journalistes scientifiques, incluant l'auteur. Sous le titre général de Statistiques, Science et Politique publique, ces conférences ont couvert un large éventail de thèmes incluant le risque, la globalisation, l'éducation, l'environnement, la confiance publique, les « Deux cultures aujourd'hui » de C.P. Snow et la responsabilité sociale élargie des scientifiques.

Le professeur Agnes Herzberg de l'université Queen's est responsable des invitations à participer, qui sont limitées à entre 40 et 50. Ce petit nombre et la sélection personnelle ont produit des discussions qui transcendent le trop commun dialogue de sourd parmi les scientifiques, les fonctionnaires et les médias (servant de substituts pour le public).

Alors que les Canadiens forment une majorité à ces conférences, à chaque année il y a aussi une forte présence du Royaume-Uni et des États-Unis et des participants d'Europe et des Antipodes. Malgré le titre, la proportion des statisticiens n'est pas plus élevée que requis pour s'assurer que les chiffres ne sont pas manipulés avec insouciance.

Jusqu'à maintenant les réunions d'Herstmonceux n'ont pas produit d'ensemble formel de recommandations, même si une tentative vers cet objectif a été amorcée. Mais les Canadiens pourraient trouver extrêmement utile de garder à l'esprit certaines observations tirées de ces huit années. Les cultures contrastantes de la science et du gouvernement font souvent entrave au traitement de ces défis publics à vocation scientifique. La science travaille surtout avec les conclusions alors que les politiques concernent les décisions. Les choses vont beaucoup mieux lorsque les deux côtés n'oublient pas cette différence essentielle.

Les urgences publiques majeures requièrent parfois des avis sur des sujets peu usités. La perte de réseau vécue par les 12 réacteurs Candu en opération en Ontario, par exemple, était considérée si peu probable qu'elle n'était pas couverte lors des entraînements en simulation pour les opérateurs de centrale et ne faisait pas non plus partie du processus exhaustif utilisé lors du renouvellement du permis. La connaissance et la compréhension des conséquences étaient donc complètement absents aux paliers supérieurs de prise de décisions. Les experts qui possédaient quelques réponses avaient peu d'expérience à communiquer avec des profanes et aucuns antécédents d'interactions qui auraient pu leur servir pour établir un lien de confiance mutuel. (Le même phénomène s'est produit avec le EBS, depuis que l'agence fédérale responsable de la sécurité alimentaire avait identifié la fièvre aphteuse comme une menace probable pour le cheptel national.)

Un avis scientifique judicieux n'est pas toujours le bienvenu, comme les avertissements faits au gouvernement fédéral durant les années 1980 et 90, au sujet des menaces à la population de morue, par les scientifiques du gouvernement canadien ou les conclusions sur les changements climatiques des scientifiques américains. Les scientifiques ont besoin d'être protégés contre les pénalités affectant leurs carrières parce qu'ils sont porteurs de faits inacceptables politiquement. Une structure institutionnelle peut fournir un niveau de sécurité et aider à construire la confiance, mais les politiciens ont tendance à abolir ceux-ci (le Conseil des sciences au Canada et « Office of Technology Assessment » aux Etats-Unis).

L'amélioration de l'éducation scientifique demeure un besoin urgent dans nos écoles (il est probablement trop tard pour des adultes comme Margaret Wente). Dans les écoles élémentaires, le défi initial est d'améliorer la formation et la sélection des enseignants, une crise nationale d'où les agences fédérales s'éloignent à cause des inquiétudes constitutionnelles. Au niveau secondaire, l'effort devrait être dirigé à enseigner comment la science fonctionne réellement, et non seulement à présenter les parcelles et les miettes intéressantes. Il est possible que le Premier ministre Eves ait pu mieux se tirer d'affaire si quelqu'un lui avait présenté le « démon » de James Maxwell (cherchez-le!).

La prochaine génération de scientifiques de laboratoire doit devenir beaucoup plus familière avec la création de politique publique, le fonctionnement des conseils municipaux et des législatures ainsi que des particularités souvent exaspérantes des médias de masse. Au niveau post-secondaire, les facultés de science échouent généralement en ce qui a trait à la sélection des étudiants, à l'enseignement et à la sensibilisation culturelle à cet égard.

Plus de journalistes et d'observateurs des médias doivent au moins relever leur regard collectif du moment présent pour informer le public au sujet des questions qui s'étirent sur un horizon de cinq ans. Est-ce que quelqu'un croit honnêtement que les Canadiens sont prêts pour la xénotransplantation?

Les participants aux conférences d'Herstmonceux n'entretiennent aucunement l'illusion de posséder les réponses aux défis émergents. Ils ont cependant démontré qu'il est possible d'identifier des approches prometteuses qui pourraient améliorer la façon dont la société traite les défis intimidants que la science et la technologie continueront à présenter.

Peter Calamai est journaliste scientifique national au Toronto Star

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