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numéro 3 août 2002
 
 

Tête à tête avec Luigi Girolametto et Elaine Weitzman

En juillet, nous avons eu un entretien individuel avec Luigi Girolametto et Elaine Weitzman, partenaires du Réseau, qui nous ont expliqué comment ils ont formé une collaboration efficace et comment ils diffusent les résultats de leurs recherches.

Luigi est professeur agrégé à l'université de Toronto au département d'études de deuxième cycle en orthophonie. Il coordonne toutes les admissions et tous les prix remis aux étudiants de deuxième cycle. Outre sa recherche, il enseigne deux cours de d'apprentissage du langage pour les enfants.

Elaine est directrice exécutive du centre Hanen, un organisme de bienfaisance qui aide les jeunes enfants ayant des retards de langage – et les enfants à risque – à communiquer du mieux qu'ils le peuvent. Le centre Hanen élabore des programmes pratiques et à la fine pointe de la technologie, des ressources conviviales pour les parents, les éducateurs et d'autres intervenants qui jouent un rôle important dans la vie des enfants.

Luigi et Elaine travaillent en partenariat dans le cadre du projet du Réseau portant sur la stimulation du langage et l'intervention en milieu de garde.

leur partenariat…

Luigi : Au début, nous étions tous deux des cliniciens qui travaillaient ensemble dans le cadre de programmes de formation des parents au centre Hanen. À cette époque, je travaillais aussi à mon doctorat, qui portait sur l'efficacité des programmes de formation pour les parents et ce, pour les enfants et les parents. Après avoir obtenu mon diplôme, j'ai quitté le programme du centre Hanen pour une carrière au sein de l'université. 

Elaine : Nous avions toujours dit que nous aimerions un jour travailler en partenariat. Je savais que Luigi travaillerait toujours dans un contexte universitaire, en enseignement et en recherche. Donc, lorsque je suis devenue directrice exécutive du centre Hanen, nous étions tous deux dans des situations idéales pour concrétiser nos plans. Luigi pouvait faire la recherche et je disposais de l'environnement clinique pour le faire.

un partenariat d'une grande efficacité…

Luigi : C'est magnifique de travailler avec Elaine parce qu'elle gère du personnel et des ressources qu'elle peut mettre à ma disposition. Elaine a apporté les changements requis par la science pour que les chercheurs puissent avoir un contrôle rigoureux – elle a fourni les ressources requises pour former des groupes de contrôle et elle a assumé les coûts des séances d'enregistrement supplémentaires. Je crois aussi que sa compréhension de la recherche a permis la création d'un partenariat efficace car elle savait que ces adaptations devaient absolument être faites. Je crois que cela était important pour que notre collaboration fonctionne étant donné qu'en tant qu'universitaire, les bourses que je recevais étaient limitées et qu'elles permettent rarement le travail en clinique. Donc, la combinaison entre les fonds que je recevais du gouvernement fédéral et les ressources fournies par Elaine ont donné lieu à un mariage de compétences très efficace.

Elaine : Il y a aussi la chimie : nous aimons travailler ensemble. C'est essentiel - les partenaires doivent avoir un objectif commun et pouvoir travailler ensemble efficacement. Je crois que nous avons établi un bon partage des rôles, ce qui a beaucoup aidé.

l'avenir de leur collaboration de recherche…

Luigi : Comme j'étais d'abord un clinicien, mes recherches étaient avant tout des recherches cliniques. Je voulais faire des recherches qui auraient un impact sur les familles et les enfants, mais les recherches que je faisais ne pouvaient absolument pas produire un tel impact.

À l'époque, j'ai commencé à m'intéresser aux enfants qui faisaient tardivement l'apprentissage du langage - ceux de deux ans qui ne parlaient toujours pas. À cet âge, les parents commencent à s'inquiéter et nous savons qu'une proportion de ces enfants finissent par avoir des troubles persistants du langage. Que faisons-nous lorsque nous identifions ces enfants de deux ans? Je voulais me concentrer sur ce groupe parce que la documentation dans ce domaine traitait beaucoup de ces enfants et que cela m'avait toujours intéressé. Lorsque Elaine et moi avons parlé de faire des recherches, ce groupe intéressait aussi Elaine. Nous nous sommes donc lancés conjointement dans ce domaine de recherche. Avant de commencer, j'ai proposé quelques changements au programme pour répondre aux besoins de ce groupe d'enfants en particulier, et Elaine a tous mis ces changements en œuvre avec l'aide de ses thérapeutes. Ce fut une magnifique aventure de collaboration. Nous avons dû nous rencontrer fréquemment pour définir les différentes étapes de la thérapie et pour déterminer ce que nous devions faire lors de chaque étape.

la diffusion des résultats de leurs recherches…

Elaine : Grâce à la structure du centre Hanen, la diffusion des résultats des recherches peut être effectuée beaucoup plus facilement. Il existe de nombreux niveaux de connexion entre le centre Hanen et les gens que nous formons. Lorsque nous parlons de nos recherches, tous veulent savoir si le programme fonctionne. Nos instructeurs ont accès à l'information, et lorsque les résultats des nouvelles recherches sont établis, nous les partageons avec eux. Ils sont au courant des recherches en cours et savent quels sont les résultats obtenus à ce jour. Ensuite, de nombreux articles sont publiés sur les recherches, et les gens ont accès à ces articles sur notre site Web. Nous incluons tous les documents pour consultation dans notre matériel de formation. Je crois que nous sommes l'un des premiers organismes sans but lucratif dans ce domaine qui a un site Web. Nous affichons les résultats des recherches sur notre site Web pour que les gens puissent y avoir accès. Lorsque nos membres nous transmettent des demandes de renseignements supplémentaires au sujet des recherches, nous pouvons leur fournir cette information. Nous sommes devenus une source d'information pour nos membres.

Nous utilisons aussi des communiqués pour transmettre les résultats des recherches que nous effectuons - ces communiqués sont un des principaux moyen de communication avec nos membres. Je crois toutefois que notre site Web prendra de plus en plus d'importance.

Dans notre domaine, lorsque l'existence d'un programme est rendue publique, ce qui importe pour les gens, c'est que le programme fonctionne. Aux États-Unis surtout, si on ne peut pas démontrer qu'un programme fonctionne, ce n'est pas la peine d'en parler. On ne veut pas savoir si c'est un bon programme; on veut que le programme fonctionne.

et si la recherche démontre qu'un changement doit être fait…

Elaine : Cela s'est déjà produit et les résultats de la recherche ont changé la façon dont les services cliniques sont offerts. Si nous devons apporter un changement à notre méthodologie, nous en informons le milieu. Par exemple, en 1994, lorsque Luigi et moi avons entrepris nos recherches, les premiers résultats que nous avons obtenus démontraient qu'un changement s'était produit en ce qui concerne les habiletés de conversation sociale des parents et des enfants, mais nous ne pouvions pas démontrer sans équivoque que le langage des enfants s'était amélioré. Donc, Luigi a suggéré que nous apportions certaines adaptations au programme pour que nous puissions mesurer le changement. Nous avons alors pu constater que le programme permettait de modifier le langage des enfants. Grâce aux modifications apportées au programme, nous avons donc constater qu'il existait des différences importantes entre les groupes expérimentaux et les groupes de contrôle.

certaines de leurs réussites…

Elaine : Je crois que la recherche que nous avons effectuée dans les années 90 a avant tout suscité l'intérêt des gens qui expérimentaient des problèmes avec un certain groupe d'enfants. Cette recherche a apporté une aide incroyable aux enfants qui faisaient tardivement l'apprentissage du langage et qui avaient un retard d'expression marqué. Nous ne savons pas vraiment quelles en sont les raisons, mais le programme a entraîné le processus de développement du langage chez ces enfants.

L'article publié par Luigi indiquait que ce sont les changements qui avaient été constatés, mais que nous ne pouvions pas affirmer que les habiletés de langage des enfants avaient changé. Il s'agissait d'un aspect important que nous devions éclaircir. Ce fut donc le catalyseur du programme de recherche subséquent.

Luigi : Notre récompense, c'était que nous avions obtenu des résultats significatifs et que ces résultats avaient produit un impact assez important sur le nombre d'ateliers offerts par le centre Hanen dans le cadre des programmes de traitement créés pour les familles et les enfants.

Nous avons réussi tout cela dans une période de cinq ou six ans, ce qui tient du miracle puisque les recherches de la plupart des chercheurs ne sont mises en pratique qu'après 10 ou 15 ans. Je crois qu'il faut habituellement 10 ans avant que les résultats d'une recherche entraînent des changements concrets. Pour nous, il n'a fallu que cinq ans; c'est époustouflant.

la transférabilité de leur concept de collaboration ailleurs au Canada…

Elaine : Ce serait possible; je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas possible. Mais, pour que cela fonctionne, il ne faut pas que la bureaucratie des organismes en cause soit trop lourde. C'est la beauté de ce que nous avons réalisé et de ce que nous continuons à réaliser. Luigi m'a demandé si j'avais 5 000 $ et il m'a dit que c'était tout ce dont il avait besoin. Je lui ai répondu que je pouvais avoir cette somme. Nous n'avons pas eu à demander l'approbation de plusieurs personnes puisque je relève directement du Conseil d'administration. Je dispose d'un budget de recherche et je peux prendre des décisions. Je ne vois pas pourquoi le principe du partenariat entre chercheur / clinicien ne serait pas transférable.

Luigi : Toutefois, je crois que la recherche scientifique de base sera toujours une nécessité, et une grande partie de cette recherche est axée sur le microcosme. Ces idées sont très éloignées du monde clinique. De plus, je crois que ce qui nous avantage et que la raison pour laquelle notre collaboration est si efficace, c'est que Elaine et moi étions tous deux intéressés à faire de la recherche clinique, c'est-à-dire de la recherche qui étudie les interventions et leurs effets sur les gens et les populations. C'est le genre de recherche qui pourrait probablement s'adapter à ce paradigme mieux que certaines recherches scientifiques de base. La recherche scientifique de base demeure importante, mais elle ne permet pas d'avoir un impact direct dans un délai de cinq ans sur ce qui ce passe dans ce domaine. Je crois qu'il est important de faire cette distinction parce que je sais qu'au sein du Réseau, il existe des chercheurs qui concentrent leurs efforts sur les aspects reliés au microcosme du développement auditif ou du développement humain par exemple. Cette recherche peut ne pas avoir d'influence à court terme sur la manière dont les interventions sont effectuées, mais elle est nécessaire parce qu'elle permet des progrès à long terme dans le domaine.

appui fourni par le Réseau…

Luigi : En général, je crois que la mise en pratique de la recherche peut être effectuée par les chercheurs. Certains chercheurs obtiennent peut-être des résultats scientifiques qui sont en fait transférables, mais ils n'ont pas Elaine et son organisme pour promouvoir ces résultats. Ce serait magnifique si les résultats de recherche obtenus par les chercheurs du Réseau canadien de recherche sur le langage et l'alphabétisation étaient d'abord traduits en anglais pour qu'ils puissent ensuite être diffusés de manière approprié à tout ceux qu'ils peuvent intéresser et à toux ceux qui peuvent profiter de ces résultats.

Je crois que le Réseau canadien de recherche sur le langage et l'alphabétisation a un rôle bien précis à jouer, non seulement en faisant la promotion de la recherche, mais aussi en établissant des bases plus générales permettant de démontrer que la recherche effectuée par ce groupe peut avoir un impact. La pièce manquante au puzzle est probablement les ateliers. Mais Elaine nous offre un contact de personne à personne, ce qui serait probablement difficile à mettre en place au sein du Réseau. Lorsqu'une personne explique à un groupe de 30 autres personnes ce que sera la recherche et comment une intervention en particulier se déroulera, le transfert effectué est surprenant.

la mise en pratique de la recherche dans les interventions auprès des enfants…

Luigi : Bien, nous y travaillons. Par exemple, lorsqu'on travaille avec des garderies, il est intéressant de constater que de la documentation existe depuis 25 ans sur la manière dont les intervenants doivent poser des questions. Toutefois, il faut former les intervenants à poser des questions exigeant une réponse détaillée et à éliminer les questions auxquelles on peut répondre par oui ou par non. Cette documentation existe depuis 25 ans et lorsqu'on se rend dans les garderies, on constate que les intervenants ne savent pas comment poser les bonnes questions. Donc, cette documentation à propos de la petite enfance n'a toujours pas été mise en pratique.

Nous avons connu un si grand succès avec les orthophonistes que nous avons maintenant commencé à explorer certaines façons de mettre notre recherche en pratique pour que la vie de ces enfants et le travail des gardiens et gardiennes d'enfants soient différents. Nous tiendrons d'abord un symposium cet automne http://www.cllrnet.ca/en/news/news_story.php?news_id=35 au cours duquel Elaine et moi-même tenterons d'obtenir une certaine orientation future de la part des chercheurs principaux dans le domaine de la garde d'enfants et du langage. Nous voudrions que ce symposium soit suivi d'un atelier offert en décembre aux personnes de la région de Toronto qui font de la consultation en milieu de garde et auprès des éducateurs de la petite enfance, qui fournissent de l'information aux éducateurs de la petite enfance et qui supervisent ces éducateurs. Nous avons commencé à identifier les personnes auxquelles nous présenterons la recherche reliée au langage en milieu de garde et à déterminer comment ces personnes pourront mettre les résultats de la recherche en pratique. Nos efforts seront d'abord axés sur les conseillers puisqu'ils sont responsables de la formation initiale et de la formation continue. C'est l'approche que nous avons définie.

Elaine : Nous voulons que les gens comprennent pourquoi la formation est si importante et pourquoi la documentation sur le langage et l'alphabétisation contient de l'information que les gens doivent absolument connaître. Nous nous préoccupons du manque de connaissance que manifestent les gens qui travaillent avec les enfants la journée durant et de la formation insuffisante qui leur est offerte.

d'autres sujets d'intérêt…

Luigi : Nous avons tous deux un chien. Nous aimons le sushi – en fait, nous l'adorons. 

Elaine : Mon travail et ma vie de famille avec trois enfants me tiennent très occupée; j'ai dû abandonner plusieurs de mes loisirs, mais les voyages occupent une place importante dans ma vie et je pratique quelques sports.

Luigi : Mon passe-temps, c'est la recherche. J'avais l'habitude de travailler le bois, mais je n'ai pas utilisé mon atelier depuis des années, c'est incroyable.